Karl Marx fait son cinéma

Le jeune Karl MarxMême si Le jeune Karl Marx de Raoul Peck (2016) a reçu une critique mitigée à sa sortie (je pense à un vilain papier dans Libération du 29/09/2017), le film est loin d’être dénué d’intérêt. Ce long métrage a le mérite de montrer un Marx intimiste sans pour autant sombrer dans le voyeurisme. La répression, les difficultés financières, la lutte pour la reconnaissance,… tout est filmé à hauteur d’homme.
On suit donc Marx d’explusion en expulsion et soumis à une précarité à laquelle il n’échappe que grâce à la fraternité d’Engels. Le film est-il hagiographique ? Il rend compte en tout cas de façon intéressante des tensions qui animent ces deux jeunes turcs d’origine bourgeoise qui cherchent à faire leur place dans le travail de structuration idéologique des classes populaires. Le coup de la prise de la Ligue des justes et, à ce titre, particulièrement éclairant, dépeignant le socialisme de l’époque comme un champ de lutte particulièrement concurrentiel.
Dans une très belle scène sur la plage d’Ostende, pendant que ces messieurs discutent âprement de la vulgarisation de la doctrine communiste, leurs femmes parlent famille et, plus précisément, désir d’enfant. L’incrédulité de Jenny Marx confrontée à la radicalité de Mary Burns fait écho aux tensions qui agitent Engels appeler à seconder son père dans une usine de Manchester. Les idéaux confrontés à l’extraction, au long travail de socialisation. L’incrédulité de Jenny porte sur la représentation de la famille :

Jenny Marx – En aurez-vous un jour ?

Mary Bruns – Fred, papa ? Il a trop la bougeotte pour ça. Et puis les enfants, sans argent, c’est trop de malheur…

JM – Mais Fred ?

MB – Je sais. Son argent. Son argent pourri. Non. Je veux être libre. Je suis libre. Je veux me battre. Et pour me battre, je dois rester pauvre. Voilà comment je vois les choses. Et il me comprend.

JM – Donc vous n’aurez jamais d’enfant avec lui ?

MB – Peut-être avec Lizzie, plus tard.

JM – Qui est Lizzie ?

MB – Ma petite sœur, elle a seize ans. Elle pourra lui en faire. Elle ne demande que ça.

[Long silence de Jenny Marx]

MB – J’ai dit une bêtise ?

Ce dialogue a-t-il jamais eu lieu ? Peu importe finalement, il pose des questions importantes. Evidemment certains détails peuvent interroger. Le polyglotisme des protagonistes est-il avéré ? Marx, Jenny, Engels passent parfois dans une même conversation de l’allemand à l’anglais, puis au français. Pourchassés par toutes les polices d’Europe, on image que la maîtrise des langues devient une nécessité de survie…
Une autre scène mérite d’être mentionné, celle se déroulant dans l’atelier de Courbet qui accueille une fringante volée d’intellectuels pendant que Proudhon, admirablement campé par Olivier Gourmet, se fait croquer le portrait.
On regrette souvent l’absence de profondeur de champ : filmé serré sur l’intimité de Marx relève sans doute de la nécessité faite vertu. Les milieux ouvriers de Manchester, Londres, Paris, Bruxelles sans doute trop coûteux à reconstituer. À ce niveau, la qualité de détail des décors intérieurs est à souligner.
Sans doute ce film ne va-t-il pas susciter un regain d’intérêt massif pour l’étude des travaux de Marx, il peut néanmoins se révéler être un outil pédagogique précieux pour qui chercher à initier des étudiants aux apports de Marx et Engels à l’histoire des idées.

Marx

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